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Appel à textes no 24 – Présence et signification : regards sur la philosophie d’Arthur Danto
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Appel à contribution pour le numéro 24 de la revue Proteus : Présence et signification : regards sur la philosophie d’Arthur Danto
Date et conditions de soumission des argumentaires : les propositions d’article (environ 3000 signes, plus une courte bio-bibliographie) sont à envoyer avant le 31 juillet 2025 à l’adresse de la revue en format éditable de préférence (odt, docx, rtf, etc.) :
contact@revue-proteus.com – les notifications d’acceptation ou de refus seront transmises le 5 août.
Date et conditions de soumission des articles : une fois l’argumentaire retenu, les articles (entre 25000 et 45000 caractères) sont à envoyer à la même adresse que les argumentaires de préférence avant le 31 octobre 2025.
Coordination du dossier : Alice Dupas et Thomas Mercier-Bellevue
Dans l’article « Le monde de l’art » (1964), Arthur Danto distingue deux étapes dans l’histoire des théories de l’art1 : les théories de « l’art comme imitation » assignent à l’art la tâche de représenter le réel, et les théories de « l’art comme créateur », qui naissent à la fin du XIXe siècle, valorisent l’œuvre d’art pour elle-même, indépendamment de sa capacité à reproduire les apparences du réel. Ce schéma historique oppose deux conceptions de la notion de présence. L’hypothèse que ce dossier cherche à explorer est que cette notion représente une porte d’entrée féconde dans la théorie de l’art de Danto dans la mesure où elle permet à la fois de situer le philosophe américain dans l’esthétique du XXe siècle, et d’interroger les tensions internes à sa pensée.
Les théories de « l’art comme imitation », que Danto fait remonter à Platon, revendiquent la transparence de l’œuvre : la fonction de cette dernière serait de s’effacer pour donner à voir le réel. Selon cette conception, la représentation artistique consiste à rendre le réel présent aux sens en faisant oublier la médiation artefactuelle de l’œuvre : le médium artistique « se sacrifie en faveur du contenu grâce à un acte de retrait et d’effacement de lui-même
2 ». La vérité de l’œuvre est ainsi celle de son contenu, elle est fonction de sa capacité à nous mettre en présence du sujet peint, jusqu’à l’illusion.
Dans les nombreux textes qu’il consacre à l’interprétation des dynamiques historiques de l’art moderne et contemporain, Danto constate que, à la fin du XIX
e siècle, une autre conception s’impose : l’effondrement progressif du paradigme figuratif accorde au médium une importance et une visibilité nouvelles, indépendamment du contenu représenté
3, à tel point que n’importe quel objet est susceptible d’être de l’art. Il est possible d’interpréter ce bouleversement comme un déplacement des enjeux liés à la notion de présence : l’objet artistique vaut pour lui-même en vertu de sa présence propre, non plus comme signe de l’objet réel. Cette non réductibilité de l’œuvre à son contenu favorise la mise au jour d’une valeur liée à la présence en personne de l’œuvre, à sa densité propre. L’œuvre d’art en vient à se distinguer par l’extraordinarité de son statut d’objet dégagé de la dynamique de la consommation
4 : son insularité au sein de l’expérience humaine la dote d’une épaisseur et d’une lumière singulières, d’une aura. Dans ce second paradigme, ce n’est plus la présence de l’objet représenté
dans l’œuvre qui prime, mais la présence
de l’œuvre elle-même, en tant qu’elle structure l’espace sensible et conditionne l’advenue d’une expérience singulière. L’expérience esthétique ne semble alors pouvoir advenir qu’à la condition d’une présence en personne du spectateur, dans un rapport d’intimité avec l’espace de l’œuvre.
Le dossier que nous proposons ici à la publication cherche à interroger la relation ambivalente que Danto entretient avec ce second paradigme de la présence.
En première analyse, Danto semble souscrire à l’idée selon laquelle l’expérience des œuvres d’art doit passer par une présence sensible. Le récit de sa rencontre avec les
Boîtes Brillo de Warhol, maintes fois répété, témoigne de l’importance qu’il accorde à l’épreuve
directe des œuvres, seule capable de plonger le spectateur dans un état durable « d’intoxication philosophique
5 ». C’est notamment ainsi qu’il justifie la prééminence du geste de Warhol sur celui de Duchamp : « j’ai
rencontré les boîtes de Brillo […] ce n’est pas quelque chose que j’ai découvert dans un livre d’histoire de l’art
6 ». Dans son travail de critique d’art également, Danto incite les lecteurs à aller
en personne au contact des œuvres
7, arguant du fait que ni l’hypotypose la plus parfaite, ni l’explication la plus pédagogue ne sauraient se substituer à cette présence. Et pour cause, l’objet banal qui devient une œuvre d’art n’est pas seulement déplacé et adoubé ; son changement de statut n’est pas simplement performatif
8, il est
transfiguré, épaissi d’une dignité ontologique et esthétique nouvelle qui le sépare de ses répliques banales.
Toutefois, il n’est pas certain que la transfiguration soit
visible, et donc qu’elle nécessite pour être appréhendée une fréquentation sensible de l’œuvre. Avec la méthode des indiscernables, Danto renverse la recommandation de Wittgenstein à voir : « Ne pense pas regarde plutôt !
9 ». à rebours de cette injonction à substituer l’évidence perceptive aux faux problèmes philosophiques, les
Boîtes Brillo nous apprennent que ce qui importe n’est pas à voir mais à
concevoir, conséquence d’un art « devenu à lui-même sa propre philosophie
10 ». Ainsi, les nombreux passages qui affirment la nécessité d’une fréquentation en personne des œuvres ne laissent pas d’interroger le lecteur assidu du philosophe new-yorkais. En effet, il n’est pas certain que la valeur de la présence de l’œuvre d’art soit étayée sur les plans ontologique et esthétique. Danto lui-même affirme que « d’un point de vue ontologique, l’esthétique n’est pas essentielle à l’art, mais [que] d’un point de vue rhétorique, elle est centrale
11 ». L’éloge de la présence ne serait-il que rhétorique ? L’épiphanie de la
Stable Gallery ne serait-elle qu’une anecdote biographique, sans valeur philosophique ? Si, sur le plan ontologique, « l’œil n’est plus de la moindre utilité
12 » pour distinguer l’art du non-art, est-il toujours de quelque utilité sur le plan esthétique pour faire l’expérience d’une œuvre d’art singulière ? Si tel n’est pas le cas, faut-il en déduire qu’on peut faire l’économie de la présence en personne de l’œuvre d’art ?
Cette interrogation résonne avec l’accusation d’intellectualisme fréquemment adressée à la théorie dantienne : en définissant l’œuvre comme une « signification incarnée », Danto fait de l’œuvre d’art un « message
13 », valant avant tout pour son contenu (non plus figuratif mais sémantique). La présence en personne n’en est-elle pas rendue indispensable ? Un message peut être écrit, répété, déplacé, traduit dans d’autres langues ou dans d’autres choses sans que son contenu ne soit perdu ou trahi… La matérialité de l’œuvre ne serait plus que le prétexte ou le support de compréhension d’un « texte visuel
14 » qui pourrait en toute rigueur être traduit en des mots. Si l’œuvre consiste en une « pensée enchâssée dans l’objet
15 », l’objet dans sa présence matérielle n’est-il que le véhicule de la pensée, ou entretient-il un lien organique avec celle-ci ?
Ces interrogations concernant la notion de présence constituent un point d’entrée dans la pensée de Danto ; sa cohérence interne, ses tensions, son évolution. Cette notion offre également un point de vue privilégié sur les débats de l’esthétique contemporaine : le rapport entre expérience esthétique et expérience des œuvres d’art, l’activité cognitive en jeu dans l’expérience esthétique, etc. Loin de redoubler le
Companion to Arthur C. Danto16, ce dossier de la revue
Proteus travaille à déployer à partir de Danto un point de vue problématique sur l’épreuve que nous faisons des œuvres d’art, entre sensibilité et interprétation.
Les pistes de questionnement qui structurent ce dossier sont les suivants :
– tout en assimilant l’expérience esthétique à une activité d’interprétation, Danto maintient qu’une description de l’œuvre ne saurait produire les mêmes effets que l’œuvre elle-même et que l’existence purement mentale d’une idée artistique ne saurait constituer une œuvre
17. Cette tension dans la théorie dantienne nous invite à interroger la place de l’esthétique, tant comme manière sensible de se rapporter au monde que comme branche de la philosophie. La théorie symbolique de l’œuvre d’art n’écrase-t-elle pas la spécificité d’un rapport esthétique au monde en le subordonnant à une activité d’interprétation ? Dans ce cadre, reste-t-il une place pour la notion de beauté ?
– la méthode des indiscernables qui discrédite le rôle des sens dans l’expérience esthétique ne met-elle pas en péril la spécificité de l’œuvre d’art singulière ? En toute rigueur, il semblerait qu’un objet banal indiscernable d’une œuvre d’art puisse susciter la même expérience esthétique que l’œuvre elle-même. à ce titre, faut-il considérer que l’œuvre dans son unicité est interchangeable (de fait, il ne reste que des
répliques de la célèbre
Fontaine de Duchamp) ? Il conviendra de s’interroger sur la théorie dantienne du médium : le médium assure-t-il la présence
hic et nunc et l’unicité de l’œuvre comme un indépassable support de sa signification ?
– l’ontologie de Danto entend s’appliquer à
toutes les œuvres d’art, quel que soit leur médium, leur époque ou leur origine. Toutefois, il convient d’interroger l’extension d’une théorie avant tout fondée sur les arts plastiques savants du XX
e siècle : la pensée symbolique de Danto ne serait-elle pas une philosophie de l’art contemporain plutôt qu’une philosophie contemporaine de l’art ? Quel statut donner aux œuvres relevant d’un régime ontologique et esthétique différents (arts du temps ? arts de masse ? « arts de la perturbation
18 ») ?
– la philosophie de l’art d’Arthur Danto s’étend sur trois décennies et sur plusieurs genres littéraires (essai, article, critique d’art). Ne doit-on pas renoncer à chercher la systématicité de l’œuvre pour mettre au jour ses évolutions et son caractère dialogique ?
– penseur éminemment dialogique, élaborant son propos à l’appui de références (philosophiques, artistiques, critiques) variées et prenant soin de répondre à ses détracteurs, comment Danto s’inscrit-il dans l’histoire de l’esthétique et de la philosophie de l’art ? Comment le travail de la notion de présence lui permet-il de proposer une interprétation inédite de la philosophie traditionnelle (Platon, Kant, Nietzsche), et de se distinguer des grands positionnements de l’esthétique contemporaine (Benjamin, Heidegger, Dewey, Gadamer, Goodman, etc.) ?
1. Arthur Danto, « Le monde de l’art » [1964], dans Danielle Lories (dir.), Philosophie analytique et esthétique, Paris, Klincksieck, 1988, p. 183 sq.
2. Arthur Danto, La transfiguration du banal [1981], Claude Hary-Schaeffer (trad.), Paris, Seuil, 1988, p. 242.
3. On pense à la célèbre formule de Maurice Denis, selon laquelle « un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. » (Maurice Denis, « Définition du néo-traditionnisme », Art et critique, 1890).
4. Voir par exemple Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne [1958].
5. Arthur Danto, La transfiguration du banal, op. cit., p. 23.
6. Arthur Danto, « Postface », dans Richard Shusterman, Chemins de l’art. Transfigurations, du pragmatisme au zen, Agen, Al Dante, 2013, p. 83. Nous soulignons.
7. Arthur Danto, La Madone du futur, Claude Hary-Schaeffer (trad.), Paris, Seuil, 2003, p. 9.
8. Ce point est justement l’objet du débat entre Danto et Dickie.
9. Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques [1953], Paris, Gallimard, 2004, § 66.
10. Arthur Danto, La transfiguration du banal, op. cit., p. 25.
11. Arthur Danto, « A future for aesthetics », The Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol. 51, no 2, 1993, p. 271-277.
12. Arthur Danto, Après la fin de l’art [1992], Claude Hary-Schaeffer (trad.), Paris, Seuil, 1996, p. 17.
13. Arthur Danto, La transfiguration du banal, op. cit., p. 100.
14. Arthur Danto, Après la fin de l’art, op. cit., p. 31.
15. Arthur Danto, La Madone du futur, op. cit., p. 100.
16. Jonathan Gilmore et Lydia Goehr, A Companion to Arthur C. Danto, Hoboken, John Wiley & Sons, 2022.
17. Arthur Danto, La transfiguration du banal, op. cit., p. 273.
18. Arthur Danto, « Art et perturbation », dans L’assujettissement philosophique de l’art [1986], Claude Hary-Schaeffer (trad.), Paris, Seuil, 1993, p. 152-171.
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La revue Proteus est une revue universitaire francophone d’esthétique. En tant que telle, elle ouvre ses colonnes à toute contribution scientifique de qualité en langue française traitant de problématiques rattachées au vaste domaine des arts. Il est donc attendu des auteurs qu’ils déploient un appareil critique à même de faire valoir la respectabilité d’une réflexion personnelle.
Chaque numéro présente un dossier correspondant à l’appel à textes qui lui a précédé, ainsi que divers articles hors thème. Tous ces articles, d’une longueur comprise entre 20 000 et 30 000 signes, devront être introduits par un abstract de 600 à 800 signes et, si faire se peut, sa traduction en langue anglaise. Les propositions d’articles sur le thème annoncé devront préférablement être annoncées par un argumentaire d’environ 3000 signes avant la date indiquée dans l’appel.
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